extrait du rapport remise au ministre de l’éducation Nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche par Jean-Pierre Obin, Inspection générale de l’éducation nationale Groupe Etablissements et vie scolaire, en juin 2004
L’antisémitisme et le racisme
(Rapport Obin, Education Nationale, 2004, pages 22-23)
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Des institutions et des médias se sont largement fait l’écho du récent développement de l’antisémitisme dans la vie sociale et dans les établissements scolaires. Nous ne pouvons hélas que confirmer l’ampleur et la gravité d’un phénomène qui prend deux formes principales.
D’une part on observe la banalisation, parfois dès le plus jeune âge, des insultes à caractère antisémite. Le mot « juif » lui-même et son équivalent « feuj » semblent être devenus chez nombre d’enfants et d’adolescents une insulte indifférenciée, pouvant être émise par quiconque à l’endroit de quiconque. Notre sentiment est que cette banalisation ne semble en moyenne que peu émouvoir les personnels et les responsables, qui mettent en avant, pour justifier leur indifférence, le caractère banalisé et non ciblé du propos, ou encore l’existence généralisée d’insultes à caractère raciste ou xénophobe entre élèves, visant par exemple les « arabes » ou les « yougoslaves » : une composante de la « culture jeune » en quelque sorte.
D’autre part les insultes, les menaces, les agressions, bien ciblées cette fois-ci, se multiplient à l’encontre d’élèves juifs ou présumés tels, à l’intérieur comme à l’extérieur des établissements ; elles sont généralement le fait de condisciples d’origine maghrébine. Dans les témoignages que nous avons recueillis, les événements du Proche-Orient ainsi qu’une sourate du Coran sont fréquemment invoqués par les élèves pour légitimer leurs propos et leurs agressions. Ces justifications peuvent aller jusqu’à assumer les persécutions ou l’extermination des Juifs. L’apologie du nazisme et de Hitler n’est pas exceptionnelle : elle apparaît massivement dans d’innombrables graffitis, notamment de croix gammées, et même parfois dans des propos ouvertement tenus à des instituteurs, professeurs et personnels d’éducation. Ces agressions n’épargnent pas des personnels ni d’autres élèves, comme cette collégienne turque nouvellement arrivée en France et devenue le souffre-douleur de sa classe parce que son pays « est un allié d’Israël. » Il est d’ailleurs devenu fréquent, pour les élèves, de demander sa religion à un nouvel élève ou à un nouveau professeur. Nous avons constaté que beaucoup de professeurs ne refusaient pas de répondre à cette question.
Ces agressions, parfois ces persécutions ravivent des souvenirs particulièrement douloureux chez les familles dont les enfants en sont les victimes. Elles ont notamment pour effet, dans certaines grandes agglomérations où l’offre scolaire et les transports en commun le facilitent, le regroupement des élèves d’origine juive, dont la sécurité n’est plus assurée dans nombre d’établissements publics, dans des établissements privés et publics dont l’aspect « communautaire » ou « pluricommunautaire » est de plus en plus marqué. Dans ces collèges et ces lycées, on observe alors souvent, de la part des élèves de famille juive, des manifestations d’appartenance religieuse ou identitaire à rebours. Elles visent notamment les élèves « musulmans » ou « arabes » et sont attisées là aussi par des groupes extrémistes, plus nationalistes et racistes que religieux, comme le Bétar, qui mènent des « expéditions punitives » et diffusent des affiches et des tracts violemment anti-arabes. Plus inquiétant, des professeurs affichent leur judéité et une certaine crispation identitaire comme en témoigne ce chef d’établissement, effaré par l’accueil reçu de certains personnels le félicitant de la nomination « d’un proviseur juif » à la tête de leur lycée. Dans d’autres établissements, comme dans ce collège d’un bourg de la vallée du Rhône, nous avons constaté que la scolarisation d’élèves juifs ne se faisait plus que grâce à sa dissimulation, seul le principal en ayant été informé par les parents et assurant discrétion et vigilance ; mais le patronyme des élèves ne le permet pas toujours. Cette situation existe également s’agissant de personnels. 23
Quoiqu’il en soit, si le racisme le plus développé dans la société reste le racisme antimaghrébin, ce n’est plus le cas dans les établissements scolaires, où il a été très nettement supplanté par le racisme anti-juif. Il est en effet, sous nos yeux, une stupéfiante et cruelle réalité : en France les enfants juifs - et ils sont les seuls dans ce cas - ne peuvent plus de nos jours être scolarisés dans n’importe quel établissement.20
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